Reconnaissance au travail : le grand malentendu ?

Rédigé par Karine AUBRY - Mis à jour le 24/02/2018

Y aurait-il un grand malentendu entre collaborateurs et managers sur la question de la reconnaissance attendue ? 

Reconnaissance au travail

Une partie des managers pensent que leurs équipes attendent de la reconnaissance sous forme de primes ou de promotions, les collaborateurs attendraient davantage des signes de reconnaissance plus simples et quotidiens : une marque de confiance, ne pas être ignoré, être considéré, recevoir un feed-back constructif... S'ils savaient, les managers, qu'il suffit souvent de peu et à moindre frais pour donner la reconnaissance attendue et entretenir la motivation des collaborateurs !

La reconnaissance au travail est la première priorité dans les attentes de 59% des salariés Français, selon une enquête BPI ; et d'après un récent sondage Ipsos, le premier facteur de démotivation des français au travail est le "manque de reconnaissance", devant une "rémunération trop faible" et les "pratiques managériales" ( enquête Ipsos ).

Le manque de reconnaissance est identifié parmi les facteurs de stress et les risques psycho-sociaux, et selon 82 % des membres de l'Association nationale des directeurs et responsables ressources humaines (ANDRH) « développer une vraie politique de reconnaissance au travail » est une arme contre le stress ( Les Echos ). Nous avons donc affaire à un point névralgique des individus en entreprise.

Et pourtant la reconnaissance manque si l'on en croit les études : une bonne partie des salariés trouvent qu'ils n'ont pas la reconnaissance méritée d'après l'enquête du réseau DRH E&P (Entreprise & Personne)

Alors, y a-t-il incompréhension de part et d'autre ?
D'où vient ce malentendu entre manager et managés, et comment en sortir ? Si recevoir ou donner de la reconnaissance relève d'un sentiment -  donc en partie subjectif - voici quelques pistes de réflexion plus objectives :

1. Conscience de soi, conscience des autres

A l'origine de ce malentendu il y a sans doute un premier problème de feed-back et d' intelligence sociale .

Feedback pour le manager d'abord : a-t-il conscience de la reconnaissance qu'il donne ou ne donne pas ? A-t-il conscience de sa communication, de la fréquence et de la clarté des signes de reconnaissance qu'il donne ? Est-ce seulement mesurable ?

Dans le feu de la course quotidienne vers les objectifs, les managers n'ont pas toujours conscience ni des attentes de leurs équipes, ni de leur manière de communiquer avec ces équipes. Ils manquent peut-être aussi le feed-back que l'équipe leur envoie.

Ici l'empathie s'avère une clé pour sentir les attentes et les comprendre . Le manager à l'écoute décèlera plus facilement les frustrations et espoirs déçus, et pourra y répondre en communiquant avec les personnes concernées.

Exemple :

vous annoncez entre deux portes à votre directeur de projet que vous allez confier le projet Lambda à une personne de l'équipe. Ce projet stratégique, vous en avez parlé depuis des semaines comme d'un bijou, votre directeur de projet l'attendait avec impatience et il prend mal le fait que vous le confiez à un autre que lui (puisqu'il est de loin le plus compétent de l'équipe). Si vous vous attardez quelques minutes pour échanger avec lui, il vous dira sa déception sous forme de questions, ou d'une mine de 3 pieds de long, et vous pourrez y répondre. Au lieu de ça, vous filez sans attendre et votre directeur de projet ruminera peut-être son manque de reconnaissance.

Un cas fréquent en entreprise :

une personne extérieure est recrutée à un poste qu'une personne en interne briguait depuis un moment. Cette personne est non seulement déçue de cet horizon bouché, mais elle s'interroge sur sa valeur dans l'entreprise : son travail est-il à la hauteur ? Ou alors s'il l'est, pourquoi la direction ne l'a-t-elle pas reconnu ? Un dialogue est nécessaire pour clarifier les attentes des uns et les choix des autres, et remettre la reconnaissance là où elle est nécessaire et justifiée.

Le manager peut aussi être inconscient de l'impact (dévastateur) de certains de ses comportements sur le sentiment de reconnaissance de ses collaborateurs.

Exemple :

une directrice du développement avait pour habitude de s'approprier tout travail de qualité réalisé par un membre de son équipe. Elle récupérait le dossier final, mettait son propre nom sur la page de garde et l'envoyait à sa direction comme s'il s'agissait de son propre travail. En réunion, elle en parlait uniquement à la première personne, comme si elle n'avait pas d'équipe ! Cette directrice avait un ego glouton, et de manière sans doute inconsciente elle créait un grand sentiment d'injustice chez sa collaboratrice.

2. Croyances erronées

Une autre source de malentendus réside dans les croyances erronées du manager au sujet de la nature et la quantité des signes de reconnaissance attendus. Pour nombre de managers, la reconnaissance attendue est forcément financière , sous forme de prime ou d'augmentation tôt ou tard. Derrière cette croyance, une peur de la négociation sonnante et trébuchante :

« Si les entreprises pratiquent la reconnaissance non monétaire - remerciements verbaux ou écrits, proposition de participer à un groupe de travail, cérémonies de remise de diplômes ou de palmarès d'équipe -, elles redoutent de voir les salariés demander en retour une rétribution financière » nous dit Christophe Laval, consultant et auteur du  Plaidoyer pour la reconnaissance au travail .

Pour de nombreux DRH, en maîtrisant les fondamentaux suivants on répond déjà à une partie du problème :

"Salaires en phase avec le marché et équitables en interne, développement des compétences soutenu par un investissement dans la formation, système de promotion interne fluide" (source :  Les Echos )

En réalité, quelle reconnaissance compte pour les salariés ? Est-ce vraiment une augmentation ? Une prime ? Ou des félicitations haut et fort ? Une marque de confiance en confiant un projet sensible ? Etre écouté , entendu ? Voir que ses idées sont relayées vers la hiérarchie sans être filtrées ? Se voir crédité(e) pour son travail et non qu'un autre se l'approprie ? Un simple email de bravo et merc i ?

Le point commun à toutes les attentes non financières, c'est un signe. "Donne-moi un signe" semble dire le salarié, "un signe que tu as vu le travail que j'ai réalisé, et que je suis un collaborateur qui compte" .

Je me rappelle un PDG qui avait le chic pour venir saluer chaque personne du plateau en l'appelant par son prénom. Parfois il savait même dire un mot encourageant sur un projet en cours. Le chef de projet n'en revenait pas ! Son passage faisait toujours beaucoup de bien pour le sentiment de reconnaissance de chacun.  

Pour donner les signes adéquats, une piste à explorer : l'écoute active et la reformulation . Le manager qui en use permet à son collaborateur d' exprimer sa demande , ce qu'en soi est déjà un signe de reconnaissance. Il lui reste ensuite à choisir ce qu'il répond, et peut-être à savoir dire non et poser des limites si nécessaire. Ex : dans le cas d'une demande d'augmentation excessive.

Quelques exemples de pratiques façon inspiration ou puce à l'oreille :

Pierre dirige une équipe commerciale et il a une manière particulière de saluer le travail de ses commerciaux. Sur un grand tableau sont listés les appels d'offres et propositions en cours ; quand un budget est gagné, le commercial qui l'a décroché va officiellement, devant l'équipe ou l'ensemble des équipes en séance plénière, marquer un rond signifiant "gagné" sur la ligne correspondante, sur le tableau blanc. Personne ne marque le rond d'un autre, et le geste s'effectue en public - certains sont même impressionnés d'être ainsi mis à l'honneur. Fierté et joie partagée, ça compte !

Autre exemple :

J'ai connu une équipe technique qui ne se sentait pas reconnue. Dans cette petite structure, elle était tenue à l'écart des décisions et même des informations sur la vie de l'entreprise. Plusieurs membres de cette équipe avaient le sentiment d'être dans un placard. Ils manquaient cruellement de reconnaissance et perdaient leur motivation.

3. Peurs et monstres

A côté des croyances erronées qui créent le malentendu sur les attentes de leur équipe, certaines peurs freinent les managers dans leur élan de reconnaissance . Les peurs reposent là encore sur des croyances parfois fausses.

Peur et idée fausse n°1 : les lauriers, ça endort

Traduction : si je dis à mon collaborateur qu'il a fait du bon travail, il va se reposer et moins bien travailler.

Cette conception de la reconnaissance s'inscrit dans notre paradigme de la performance , dont certains se demandent si elle est compatible avec le bien-être au travail (cf. le colloque de l'Association Européenne de Coaching en janvier dernier, "Comment concilier performance et bien-être au travail ?"). Il faudrait toujours en faire plus, bon, très bien, mais... en quoi saluer une réussite donnerait forcément l'idée à celui qui l'a réalisée, d'en faire moins ?

Idée fausse n°2 : Si je dis merci ils vont me demander des augmentations / une promotion

Nous avons évoqué cette croyance plus haut.

Un jour un manager a proposé à un autre de remercier officiellement ses équipes pour le bon travail accompli en quelques mois. Le second manager lui a répondu "t'es pas fou, ils vont s'en servir pour demander de l'argent !"

Même si c'est vrai, en quoi cela vous empêche-t-il de les remercier ?

Peur et idée fausse n°3 : Qui dit merci, perd la face

Certains managers craignent -ils de perdre leur posture de chef s'ils s'aventurent à reconnaître vraiment le talent de leurs collaborateurs ? Ou alors, que craignez-vous de perdre, manager, quand vous saluez le travail de votre équipe ? Votre propre valeur en sera-t-elle diminuée ? Vous connaissez cette expression populaire, elle doit avoir un fond de vérité sur le coût d'un merci : "ça t'arracherait la bouche de dire merci ?"

En guise de conclusion : Un bonjour chaque matin, éloigne le médecin la démission !

Dans un prochain article, nous verrons ce qu'il advient du manager qui a conscience des besoins en reconnaissance de son équipe et qui veut y répondre. Il lui reste quelques challenges à relever.

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Auteur - Karine AUBRY -        

Coach certifiée 
Membre de l’AEC-EMCC – Association Européenne de Coaching 
Formée à l’Ecole Française de Coaching Devenue coach après 15 ans d’expérience en conseil, management de projets & équipes dans l’IT, communication et marketing. Accompagnement de  dirigeants et managers, en particulier sur leurs compétences relationnelles, leur leadership, leur posture et savoir-être.

Son blog :  L'Oeil du Kolibri 
Son site professionnel :  http://www.kolibricoaching.fr
Son livre : Essaye encore ! Déjouer les pièges relationnels au travail

 

Cet article est référencé dans : Reconnaître le travail d'un collaborateur - Motiver ses collaborateurs au quotidien


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